Qu’est-ce qu’un PFAS?

Louis Delon
33 min readNov 2, 2024

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Déchiffrage d’un sujet complexe

Quel est le lien entre l’antidépresseur Prozac®, l’insecticide Régent®, et une poêle Tefal®?

Ils contiennent tous des PFAS, cette famille de molécules qui fait l’actualité depuis près de 2 ans à la suite du reportage d’envoyé spécial sur la contamination qui touche l’agglomération de Lyon.

Il est fréquent de lire ou d’entendre dans la presse des approximations ou contre-vérités de la part de certains journalistes (heureusement pas tous) ou commentateurs en tous genres sur les PFAS, souvent par ignorance, parfois pour la recherche de sensationnel, parfois les deux, ou parce-que le temps court imposé pour la rédaction d’un article ne permet pas de se plonger trop en longueur sur le sujet. Or sur des sujets aussi complexes que celui des PFAS, il me semble important, et c’est ce que nous essayons de faire dans le collectif citoyen Ozon l’Eau Saine, d’éclairer le débat sur la base de faits scientifiques établis, avec toute la prudence que cela impose parfois, tout en essayant de vulgariser le sujet pour le rendre accessible au plus grand nombre. Cet article n’a pas la prétention d’être exhaustif dans la définition de ce qu’est un PFAS, tant le sujet est vaste, mais il tente de donner une première grille de lecture des différentes composantes qui se cachent derrière ce terme.

Allons-y !

PFAS est l’acronyme Anglais de “Per- and Poly-FluoroAlkylated Substances” que l’on traduirait en Français par Substances Poly et Per-FluoroAlkylées (SPFA). Le terme PFAS est relativement récent. On les appelait autrefois dans la littérature scientifique PFC (pour PerFluoroCarbones), composés organiques fluorés (Fluorinated organics) ou composés perfluorés (Perfluorinated compounds) mais il n’existait alors pas de définition harmonisée.

L’acronyme PFAS est donc un terme relativement récent et une première tentative d’harmonisation de ce que ce terme englobe d’un point de vue moléculaire ne sera proposée qu’en 2011. Par la suite, cette définition sera progressivement complétée et si l’on s’en tient à la dernière définition (relativement récente) de l’OCDE, la famille des PFAS rassemble des molécules très diverses de par leurs structures chimiques et leurs propriétés physico-chimiques.

L’OCDE en a répertorié 4730 en 2018 (mais une révision de la définition de ce qu’est un PFAS a été proposé en 2021), l’US EPA (United States Environmental Protection Agency) près de 8 000 et l’ECHA (Agence Européenne des produits chimiques) plus de 10 000. Bref, quelque soit la véracité de ces différents chiffres, il faut retenir que des milliers de molécules ont été référencées (sans qu’on soit réellement capable d’en estimer exactement le nombre commercialisées) mais que quelques centaines auraient vraisemblablement été produites à grande échelle (Chiffre à prendre avec précaution car émanant d’informations d’industriels).

Le seul point commun entre tous les PFAS, si on s’en tient à cette définition, est qu’ils possèdent tous dans leur structure chimique a minima un motif chimique “CF2” (un atome de carbone relié à 2 atomes de fluor) ou “CF3” (un atome de carbone relié à 3 atomes de fluor). Cette caractéristique chimique très générique fait des PFAS une famille de molécules qu’il est difficile de regrouper au sein d’un groupe uniforme.

D’ailleurs, il existe un arbre de classification qui permet de se rendre compte de la complexité de cette famille. Le schéma ci dessous n’est pas exhaustif mais il permet de rendre compte que cette famille se divise en classe, sous-classe, groupes et sous groupes puis in fine en molécules.

Arbre de classification (non exhaustif) de la famille des PFAS.

Par exemple, le tristement célèbre PFOA est un PFAS non polymérique perfluoré appartenant au groupe des acides perfluorés (PFAA) de type acide carboxylique (PFCA). J’avoue que cela peut sembler un peu rébarbatif de prime abord, mais pas besoin de se pencher davantage sur les détails très techniques de cet arbre de classification, il suffit juste de comprendre que les PFAS sont une famille qui comporte de nombreux embranchements, et que cette famille n’a d’homogène qu’une seule propriété (et pas des moindres):

La très grande majorité des PFAS (ou leur produits de dégradation), lorsqu’ils sont rejeté dans l’environnement, finissent par contaminer les milieux de façon persistante. Cette persistance dans l’environnement est liée à l’incapacité des microorganismes à minéraliser (= décomposer) ces composés.

Retenons juste à ce stade, que dans la grande famille des PFAS, il y a 2 grandes classes, les polymères et les non-polymères.

A noter que les motifs chimiques CF2 ou CF3 (qui caractérisent le fait qu’une molécule soit un PFAS ou pas) n’existent pas à l’état naturel (même s’il n’existe pas de consensus scientifique sur ce sujet, via à vis du TFA notamment). C’est une création purement anthropique.

Mais alors pourquoi a-t-on créé des molécules qui comprennent ces motifs chimiques? Tout simplement parce que l’ajout d’un ou plusieurs motifs “CF2” / “CF3” permet de modifier fortement les propriétés physico-chimiques des molécules. Les chimistes ont pour ainsi dire créé des “super molécules”, très stables d’un point de vue chimique (résistance aux acides, bases, oxydants…), physique (très forte stabilité thermique) et biologique (résistance à la biodégradation par les microorganismes). Autres propriétés très recherchées: leur extrême hydrophobie (littéralement “qui n’aime pas l’eau”)/oléophobie (qui n’aime pas l’huile”).

Une application illustre très bien les propriétés que je viens d’énoncer. Votre poêle de cuisson anti-adhésive dont la surface est recouverte d’un PFAS de type polymère, le PFTE (que vous connaissez probablement sous le nom de marque Teflon®). Vous pouvez la chauffer à haute température sans altérer le matériau (jusqu’a un certain point évidemment), l’eau et l’huile semblent glisser dessus comme si ni l’une ni l’autre n’arrivait à mouiller sa surface. Les polymères PFAS sont d’ailleurs les seuls matériaux connus capables de cumuler simultanément ces 2 propriétés (hydrophobie et oléophobie).

L’huile glisse sur le Teflon® qui recouvre une poêle de cuisine sans laisser de trace. Le PTFE est un matériaux très “oléophobe” (=n’aime pas les graisse).

Ce qu’il faut retenir: les PFAS rassemblent des milliers de molécules différentes. En raison de leurs propriétés physico-chimiques exceptionnelles apportées par la présence d’un ou plusieurs motifs CF2/CF3, ces molécules ont trouvé de très nombreuses applications industrielles et dans de nombreux produits du quotidien. On classe généralement les PFAS en 2 classes: Les polymères et les non polymères.

Poly/per-fluorées, quelle différence?

De par sa définition, le terme PFAS regroupe des molécules perfluoroalkylées et des molécules polyfluoroalkylées. Par esprit de simplicité dans la suite de cet article je parlerai de molécules “perfluorées” ou de molécules “polyfluorées”.

La différence entre molécules poly- et per- fluorées est assez simple à comprendre mais elle mérite tout de même qu’on s’y attarde un peu.

Voyons cela plus en détail.

Molécule perfluorée

Une molécule perfluorée est une molécule pour laquelle tous les atomes de carbone d’une molécule organique sont liés à des atomes de fluor. Dit autrement, toutes les liaisons Carbone-Hydrogène (C-H) sont remplacées par des liaisons Carbone-Fluor (C-F).

Je prends souvent comme exemple l’acide octanoïque (appelé aussi acide caprylique) pour expliquer ce qu’est une molécule perfluorée. Sa formule chimique, relativement simple, est présentée ci dessous. Il s’agit d’une molécule composée de 8 atomes de carbone (d’ou le “octa” de sa nomenclature) présente à l’état naturel dans le lait maternel de nombreux mammifères (dont l’homme) ou dans certaines huiles comme l’huile de coco.

Formule chimique de l’acide octanoïque

C’est une molécule aux vertus thérapeutiques diverses, commercialisée par de très nombreux laboratoires comme complément alimentaire.

Si on prend cette molécule et que l’on remplace tous les atomes d’Hydrogène des liaisons C-H (en gris sur le schéma précédent) par des atomes de Fluor (en vert sur le schéma ci dessous), on obtient l’acide perfluoro-octanoïque (PFOA), une molécule perfluorée. C’est exactement la même molécule que précédemment mais tous les atomes d’Hydrogène des liaisons C-H ont été remplacés par des atomes de Fluor (F).

Cette molécule n’est autre que le fameux “C8” issu des archives de Dupont de Nemours, une molécule cancérigène à l’origine du scandale environnemental et sanitaire de Parkersburg (Virginie Occidentale, USA) au début des années 2000 (ceux qui visionné le film “Dark Water” comprendront la référence).

Prenons un autre exemple qui a lui aussi fait l’actualité récemment, et qui appartient au même sous-groupe que le PFOA (celui des PFCA): Le TFA (ou acide trifluoro-acétique), la molécule impliquée dans les révélations de la pollution de l’usine Solvay de Salindres.

Le TFA n’est autre que la version perfluorée de l’acide acétique, celui la même que vous ingérez à chaque fois que vous assaisonnez votre salade avec de la vinaigrette (l’acide acétique est la molécule qui donne son acidité au vinaigre). Dit autrement, en remplaçant toute les liaisons C-H de l’acide acétique par des liaisons C-F, vous passez de l’acide acétique à l’acide perfluoro-acétique, plus communément nommé acide TriFluoroAcétique (dont l’acronyme est TFA).

Formule chimique de l’acide acétique et de l’acide trifluoroacétique (TFA)

Là encore la substitution de toutes les liaisons C-H (en gris) par des liaisons C-F (en vert) transforme une molécule naturelle en une molécule dont les propriétés vont être profondément modifiées. On transforme un acide faible (l’acide acétique) en acide extrêmement fort ( le TFA). Ainsi, le TFA est un acide 32 000 fois plus puissant que son homologue hydrogéné l’acide acétique (qui lui est un “acide faible”). Pas besoin de vous préciser qu’il n’est pas recommandé de faire sa vinaigrette avec du TFA.

Voilà pour l’explication de ce qu’est une molécule perfluorée.

Molécules polyfluorées

Venons en maintenant aux molécules polyfluorées. Une molécule poly-fluorée est une molécule pour laquelle une partie seulement des motifs -CH2 (ou -CH3) ont été remplacée par un motif -CF2 (ou -CF3). C’est donc une molécules “partiellement fluorée”.

Illustrons cela par un exemple simple.

Prenons une molécule simple, l’acide octane sulfonique (schéma ci-dessous). On le voit bien, tous les atomes de carbones sont liés à des atomes d’hydrogène (en gris).

  1. Si on remplace toutes les liaisons C-H (en gris sur le schéma) par des liaisons C-F (en vert sur le schéma) on obtient l’acide perfluorooctane sulfonique (ou PFOS): C’est une molécule perfluorée.
  2. Si maintenant on ne remplace qu’une partie seulement des liaisons C-H par des liaisons C-F (dans le cas présent il reste encore 4 liaisons C-H) alors on obtient une molécule polyfluorée, en l’occurence le 6,2-FTS, une des molécules au coeur du scandale Arkema de Lyon utilisée depuis 2017 comme substituant du PFNA pour la production de fluoropolymères.
✅ PFOS: tous les H sont subtsitués par des F: c’est une molécule perfluorée. ✅ 6,2 FTS: seule une partie des H sont substitués par des F: C’est une molécule polyfluorée

Le 6:2 FTS est une molécule polyfluorée faiblement persistante, car elle se dégrade assez rapidement dans l’environnement en plusieurs autres PFAS de type “perfluorés”, notamment le PFHxA.

On pourrait représenter de façon schématique la différence entre une molécule perfluorée et une molécules polyfluorée comme ceci:

Pour vous y retrouver plus facilement lorsque vous lisez un article qui parle des PFAS et qui mentionne certains d’entre eux, il faut avoir en tête quelques notions de nomenclature:

  • A chaque fois donc que vous voyez les acronyme “PF” quelque chose (PFOA, PFOS, PFHxA, PFHxS…), les lettres “PF” signifient “perfluoro”. Ce sont toutes des molécules perfluorées donc extrêmement persistantes au sein des différents compartiments environnementaux (eau, sol).
  • De nombreuses molécules polyfluorées utilisées dans l’industrie commencent par l’acronyme “FT” (pour FluoroTélomere). Par exemple, les molécules 6:2 FTS, 6:2-FTAB, ou 8:2 FTOH sont toutes des molécules polyfluorées.

Il est très important de bien garder en tête que les molécules polyfluorées peuvent se dégrader dans le milieu naturel (elles sont donc faiblement persistantes pour la plupart), mais la très grande majorité se dégrade en molécules perfluorées qui elles, sont persistantes.

Schématiquement on pourrait le représenter de la façon suivante:

  • Qui est coupable?

Un exemple illustre de façon assez intéressante les conséquences environnementales néfastes de la dégradation des molécules polyfluorées en molécules perfluorées. Le PFOA, une molécules perfluorée parmi les plus utilisées jusqu’au début des années 2000, est également un des PFAS parmi les plus toxiques et bioaccumulables chez de nombreux mammifères. Le PFOA est faiblement volatile (il a une pression de vapeur très faible), il a donc peu de chance de pouvoir s’évaporer fortement dans l’atmosphère pour voyager sur de longues distances. Pourtant, du PFOA a été retrouvé en quantité importante dans le foie des ours polaires.

Si la cause de cette contamination est probablement en partie due à un phénomène de bioamplification (les ours polaires mangent des phoques contaminés aux PFAS qui eux mêmes ont consommé des poissons contaminés), l’hypothèse d’une contribution due à la diffusion de fluorotélomère de type FTOH dans l’atmosphère n’est pas exclue. En effet, les molécules PFAS appartenant au sous-groupe des FTOH sont connues pour être extrêmement volatiles, ce qui favorise leur dispersion dans l’environnement, même très loin de leur source d’émission. Comme ce sont des molécules polyfluorées, elles finissent par se dégrader en molécules perfluorées, notamment dans l’atmosphère. Ainsi, une partie du PFOA retrouvé dans le foie des ours polaires peut également avoir pour source le transport aérien de 8:2 FTOH puis sa dégradation en PFOA.

Le transport longue distance de 8:2 FTOH et sa dégradation en PFOA peuvent expliquer en partie la contamination de la faune du cercle polaire artique

Ce qu’il faut retenir:

Les molécules perfluorées sont des molécules “totalement fluorées”, c’est à dire que toutes les liaisons C-H sont remplacées par des liaisons C-F. Cette substitution va complètement modifier les propriétés physico-chimique de ces molécules. Elles deviennent extrêmement stables chimiquement, physiquement et biologiquement ce qui les rend extrêmement persistantes dans l’environnement.

C’est cette particularité propre aux perfluorés a valu aux PFAS le doux surnom (formule que l’on doit initialement à un journaliste américain) de “polluants éternels”.

Pourtant, les molécules polyfluorées, qui sont des molécules“partiellement fluorées” sont “partiellement dégradables”. Une fois rejetées dans l’environnement, elles peuvent se dégrader, mais elles se dégradent majoritairement en molécules perfluorées qui, comme on vient de le voir, sont persistantes.

Finalement, tous les pfas ne sont donc pas forcément des molécules persistantes, mais tous les PFAS non persistants se dégradent in fine en molécules persistantes. Lorsque des PFAS non persistants volatiles se disséminent dans l’air, ils peuvent voyager sur de longues distances, puis se dégrader en PFAS persistants, contaminant ainsi des régions très éloignées de leur site de production.

Maintenant que nous avons expliqué la nuance entre molécules poly et perfluorées, voyons plus en détail ce que sont les PFAS dans notre quotidien. Pour cela, il faut aborder distinctement les 2 grandes classes de PFAS:

  • Les molécules de petite taille: PFAS “non-polymériques”
  • Les molécules de grande taille: PFAS “polymériques”

Cette liste n’étant pas exhaustive, le lecteur pourra consulter les nombreuses études publiées sur le sujet, comme celle-ci, pour approfondir le sujet.

Les PFAS “non polymériques”

Les PFAS de type “non polymériques” ou “PFAS de petite taille” sont des molécules utilisées dans l’industrie dans les mousses anti-incendies, la fabrication de polymères fluorés (également appelés “PFAS polymériques”), pour faire des médicaments ou des produits phytosanitaires, des produits de traitement de surface (anti-salissure par exemple) ou des gaz réfrigérants.

Ce sont des petites molécules qui comprennent à minima, un motif perfluoré de type “CF2” ou “CF3” (un atome de carbone au moins de la molécule est lié à 2 ou 3 atomes de fluor).

Ces molécules sont souvent classées en 3 sous-catégories, en fonction de la longueur de leur chaine fluoro-carbonée. Si on considère le sous-groupe des PFCA (acides carboxyliques perfluorés), qui est un des sous-groupes (avec les PFSA) qui a été le plus utilisé par l’industrie, on peut distinguer ces 3 sous-catégories comme suit:

  • Les PFAS à chaines ultra-courtes (jusqu’à 3 motifs CF2)
  • Les PFAS à chaines courtes (entre 4 et 6 motifs CF2)
  • Les PFAS à chaines longues (7 motifs CF2 et plus)

J’ai volontairement choisi le sous-groupe des PFCA car c’est un des 2 grands sous-groupes de PFAS (avec les PFSA) à l’origine de la plupart des grands scandales de pollution aux PFAS.

Par exemple, voici les molécules de ce sous-groupe reliées à certains scandales de contamination aux PFAS:

  • Le PFOA (le C8 du film Dark Water, Affaire Dupont de Nemours aux Etats-Unis)
  • Le PFNA (le C9 de l’ Affaire Arkema à Lyon)
  • Le PFHxA (le C6 de l’Affaire Arkema/Daikin de Lyon)
  • Le TFA (le C2 de l’Affaire Solvay à Salindres)

Si on classe les molécules issues de ces hotspots de contamination fortement médiatisés en France depuis 2 ans en fonction de leur longueur de chaine, on se rend compte que les 3 catégories de PFAS de type petites molécules sont représentées.

Classement des différents PFAS de type PFCA en fonction de la longueur de leur chaine perfluorée

Pourquoi ces molécules sont elles classées en fonction de la longueur de leur chaine perfluorée?

Le classement de ces molécules en fonction de leur longueur de chaîne a son importance car les propriétés physico-chimiques/toxicologiques des molécules qui en résultent en sont de façon générale assez dépendantes. Comme grandes généralités (il y a malgré tout des exceptions), on peut dire que:

  • Les molécules à chaines longues sont globalement plus bio-accumulables que les molécules à chaînes courtes/ultracourtes (même si à partir d’une certaine taille cette affirmation semble moins vraie).
  • Plus les molécules sont courtes, plus leur solubilité dans l’eau augmente, moins elles sont adsorbées (=“fixées”) dans les sols. Elles sont donc plus mobiles au sein des différents compartiments environnementaux et vont donc pouvoir migrer plus facilement sur de longues distances que leurs homologues à chaînes plus longues.
  • Les molécules plus courtes sont également plus volatiles que les molécules à chaîne longue. Elles sont par conséquent plus susceptibles de migrer sur de longues distances par diffusion dans l’air.
  • Dans les denrées d’origine animale, les chaines longues s’accumulent plus que les chaines courtes. Les PFNA (C9), PFDA (C10), PFUNDA (C11) qui sont 3 chaînes longues en C9/C10/C11 sont fortement accumulables dans les oeufs comme l’ont montré les résultats de la contamination Lyonnaise.
  • Dans les denrées d’origine végétale en revanche c’est l’inverse. Les molécules à chaînes longues ont plus de difficulté à migrer dans les parties végétatives et dans les fruits de la plante que les molécules à chaînes courtes. Il s’en suit une faible contamination générale des fruits et légumes par les molécules à chaîne longues (hormis dans le cas de sols très pollués comme c’est la cas autour des usines de Pierre-Bénite) et une contamination généralement plus importante en molécules à chaines courtes.
  • Concernant la toxicité de ces molécules, les molécules les plus étudiées ont été les 2 molécules historiquement les plus utilisées: Le PFOA et le PFOS. Ce sont 2 molécules à chaine longue (et désormais interdites à quelques exceptions prêt) et leur toxicité est désormais relativement bien documentée. En revanche, la plupart des études sur les chaines courtes sont lacunaires, il est donc difficile de tirer des conclusions définitives. Mais comme globalement elles sont beaucoup moins bioaccumulables chez l’homme, et que pour certaines, les valeurs toxicologiques de référence ont été relativement bien documentées (Celles du sous groupe des PFCA et PFSA notamment), on est en droit de considérer les chaines courtes comme moins préoccupantes que leurs homologues à chaines longues.

En revanche, que ce soit des molécules à chaines courte/ultra-courte ou à chaines longues, elles sont toutes très fortement persistantes dans l’environnement. Si leur utilisation sur le long terme devait se poursuivre, la contamination des milieux naturels ne ferait que progresser.

Voyons maintenant les principales applications des PFAS de type petites molécules en fonction de la longueur de leur chaine perfluorée.

Les chaines ultra-courtes

Parmi les chaines ultra-courtes, on va trouver de nombreuses molécules agro-chimiques et pharmaceutiques, des gaz frigorifiques (HFC,HFO) mais également le plus connu d’entre eux (qui est souvent un produit de dégradation des précédents), l’acide trifluoroacétique (TFA).

  • PFAS Agrochimiques

Dans l’industrie des pesticides, des dizaines de principes actifs présents dans des formulations de pesticides possèdent un groupement -CF3. Selon le rapport de génération future, ils seraient 37 à être approuvés en France (La liste de ces molécules est disponible sur ce lien). Aux Etats-Unis, 14% des pesticides commercialisés sont des PFAS. Ce chiffre passe à 30% si on considère les molécules actives approuvées au cours des 10 dernières années.

L’introduction d’un groupement -CF3 présente de nombreux intérêts pour la recherche pharmaceutique et agrochimique:

  • En augmentant la lipophilie (du Grec lipo: graisse et philos: aime) de la molécule, c’est à dire en augmentant son affinité avec les matières grasses (ex: les lipides), la molécule peut traverser plus facilement les membranes cellulaires des organismes vivants (constituées principalement de phospho-lipides) et atteindre ainsi plus efficacement sa cible.
  • La présence d’un groupement CF3 confère également à la molécule une meilleure stabilité chimique qui a notamment comme conséquence une meilleure résistance à la dégradation enzymatique (et donc de diminuer la dose applicable).
  • La présence d’un groupement “CF3” peut également induire une modification des propriétés biologiques de la molécule, la rendant parfois plus affine avec le récepteur biologique ciblé.

Un exemple de pesticide porteur d’un groupement trifluorométhyle (un atome de carbone relié à 3 atomes de Fluor) est le Fipronil (voir la formule chimique ci dessous), molécule active de l’insecticide Régent® , longtemps controversé pour sa toxicité envers les pollinisateurs avant d’être définitivement interdit en France en 2004 .

Fipronil (Régent®)
  • PFAS Pharmaceutiques

L’industrie pharmaceutiques produit également des PFAS (globalement pour les mêmes raisons cités précédemment quant aux propriétés particulières induites par la présence d’un motif -CF3). On peut citer notamment le célèbre anti-dépresseur Prozac®, le Modécate® contre la schizophrénie (dont la commercialisation est stoppée depuis 2019) ou encore le Lonsurf® utilisé dans le traitement du cancer colorectal métastatique.

Les formules chimiques de leurs principes actifs respectifs, la fluoxetine, la Fluphénazine et la Trifluridine sont représentées ci dessous:

Une autre molécule pharmaceutique de type PFAS, prescrit en association avec le ritonavir pour des patients susceptibles de développer un covid-19 sévère, est le nirmatrelvir, un antiviral commercialisé sous la marque paxlovid®

Formule chimique du Nirmatrelvir, une de 2 principes actifs du Paxlovid®
  • Gaz réfrigerants

certains gaz refrigérants, de la famille des HFC (Hydrofluorocarbure) et HFO (Hydrofluorooléfines), par exemple ceux utilisés pour la climatisation des voitures, sont également des PFAS.

Par exemple, le HFO-1234yf, dont la formule est représentée ci dessous, est un gaz réfrigérant de 4ème génération dont la production devrait fortement augmenter dans les prochaines années.

Ce qu’il faut retenir sur les chaînes ultra-courtes: Ces molécules sont majoritairement (si on exclu quelques molécules comme le TFA), des molécules polyfluorées (voir définition expliquée précédemment), mais la majorité de ces molécules peuvent se dégrader dans le milieu naturel en Acide trifluoro-acétique (TFA), qui est un des plus petits PFAS connus, très persistant et très mobile.

Le TFA

Les émissions de TFA dans l’environnement on fait l’objet de nombreuses publications scientifiques. Le TFA est une molécule perfluorée, elle est donc, par nature, persistante dans l’environnement. Cette molécule est produite à l’échelle industrielle par certains géants de la chimie comme Solvay dans son usine de Salindres dans le Gard (dont Solvay a annoncé récemment la fermeture). Cette molécule est un précurseur (une molécule de base) pour la fabrication de molécules pharmaceutiques et agrochimiques plus complexes, celles la même que nous avons vu précédement. La pollution de Salindres est donc pour beaucoup la pollution d’une molécule qui a vocation à fabriquer des pesticides ou des médicaments. Mais ce n’est pas tout. Les principes actifs (pharmaceutiques ou agrochimiques) obtenus à partir du TFA, une fois rejetés dans l’environnement (par épandage pour les produits phytosanitaires ou via les réseaux d’assainissement pour les produit pharmaceutiques) vont, en se dégradant, libérer du TFA (voir le schéma illustré ci dessous).

Les PFAS pharmaceutiques et agrochimiques sont donc à la fois à l’origine de hotspot de pollution environnementale à une échelle très locale (comme le cas de la pollution de Salindres), mais également d’une pollution bien plus diffuse en fin de cycle via la biodégradation de ces produits ou de leurs métabolites dans l’environnement.

Il en va de même pour certains gaz réfrigérants. En vertu du règlement européen F-Gas 517/2014 sur les émission de gaz à effet de serre fluorés à fort potentiel de réchauffement global, l’Union Européenne impose la réduction progressive de la production des HFC. En réponse à cette nouvelle réglementation, l’industrie a réagi en développant d’autres substances fluorées, les hydrofluorooléfines (HFO) et les hydrochlorofluorooléfines (HCFO), qui présentent l’avantage d’avoir des durées de vie atmosphériques très courtes (quelques jours) et un potentiel de réchauffement global très faible (contrairement aux HFC).

L’une des molécules de substitution les plus prometteuses de cette famille est le HFO-1234yf (celle la même que j’ai déjà présenté précédemment). Elle vient remplacer la molécule d’ancienne génération HFC-134a qui sera prochainement interdite en raison de son potentiel de réchauffement global très élevé.

Ces 2 molécules se dégradent dans l’atmosphère en Acide Trifluoroacétique (TFA), mais pas dans les mêmes proportions. La dégradation du HFO-1234yf en TFA est de 100% la ou celui du HFC-134a n’est que de 30%.

Rendements de dégradation dans l’atmosphères en TFA de 2 gaz réfrigérants

Dit autrement, le HFO-1234yf promut produit de substitution du HFC-134a produit trois fois plus de TFA en se dégradant dans l’atmosphère que son substitut. Sachant que cette molécule équipera bientôt l’ensemble des climatisations automobiles de la planète, on est en droit de se demander dans quelle proportion cette molécule contribuera à contaminer l’environnement au TFA.

En conclusion, il existe au moins 2 sources de contamination au TFA dans l’environnement. Les sources directes issues de la production ou de l’utilisation industrielle de TFA, et les sources indirectes issues de la dégradation de molécules trifluorométhylés (= molécules qui possèdent un motif chimique -CF3), ces même molécules que nous venons de voir.

Et possiblement des sources “naturelles”, même si ce sujet est toujours débattu par la communauté scientifique. Un rapport des nations unies sur le TFA cite plusieurs publications scientifiques sur le sujet. L’une d’entre elles précise notamment que les concentrations de TFA dans l’océan ont été mesurées et se situent dans une fourchette d’environ 200 ng/L. Une autre étude publiée en 2005 sur la base de prélèvements réalisés dans diverses régions des océans Arctique, Atlantique et Pacifique a révélé que les concentrations en TFA dans les eaux profondes (>1 000 m) de l’Atlantique étaient proches de 160 ng/L. Une datation au carbone 14 suggérait que l’eau à cette profondeur avait plus de 1 000 ans, suggérant une origine naturelle de cette contamination.

Ce qu’il faut retenir:

Il existe de nombreuses sources de contamination potentielles de PFAS à chaines ultra-courtes. La plupart de ces molécules se dégradent ensuite dans l’environnement en TFA, un des plus petits PFAS. Cette molécule est très soluble dans l’eau, très faiblement adsorbée dans les sols (terme scientifique pour dire que la molécule se fixe très mal sur les particules de sol), par conséquent elle peut migrer très facilement sur de longues distances dans les cours d’eau et en profondeur dans les différents aquifères.

Maintenant que nous avons vu les principales sources de PFAS à chaines ultra-courtes, intéressons nous aux PFAS à chaines courtes et à chaine longue.

Chaînes courtes / Chaînes longues

Les PFAS à chaînes courtes/longues ont trouvé des applications importantes comme agent tensioactif dans les mousses anti-incendie (extinction de feux d’hydrocarbures uniquement), comme agent émulsifiant pour la fabrication de fluoropolymères ou comme agent de greffage sur des polymères conventionnel (pour des applications que nous verrons plus loin).

Historiquement, entre les années 1950–2000, ce sont les “chaînes longues” qui furent utilisées massivement pour ces différentes applications, et principalement 2 molécules: Le PFOS et le PFOA. Ces 2 molécules sont des molécules en C8 (comprendre des molécules comprenant 8 atomes de carbones). La longueur de chaîne de ces PFAS dits “ historiques” n’avaient pas été choisie par hasard. Cette longueur de chaîne présentait les meilleures performances pour les propriétés recherchées. En effet, la longueur de chaîne fluorée a un réèl impact sur les propriétés physico-chimiques de ces molécules. Dès la fin des années 70, les chercheurs de Dupont de Nemours avaient connaissance de la toxicité du PFOA. A partir du début des années 2000 (à la suite du scandale Dupont de Nemours), ces molécules furent progressivement abandonnées par les industriels, en raison de leur caractéristiques toxiques et bio-accumulables chez l’homme.

Article des années 1990 qui évoque la surmortalité d’employés travaillant dans des usines utilisant du PFOA

Ainsi, en 2000, le principal producteur de fluoro-surfactants, la société 3M (85% du marché à l’époque), sous la pression des agences réglementaires américaines, a annoncé l’arrêt de production du PFOS. Peu après, en 2006, les 8 principaux producteurs de fluorosurfactants se sont engagés à supprimer progressivement la production des PFAS à “chaines longues” (Le PFOA et PFOS notamment) d’ici à 2015.

Cet engagement à conduit ces mêmes industriels à chercher des alternatives aux chaines longues, ce qui les a conduit à développer des molécules de nouvelle génération, les “chaînes courtes”, au prétexte que ces dernières étaient moins bioaccumulables que leurs prédécesseurs (ce qui est globalement vrai lorsqu’on lit les études publiées sur le sujet).

Mais ne nous y trompons pas. Si le profil toxicologique d’une molécule de type PFAS peut être très variable d’une molécule à l’autre, il y a une chose commune qu’elles partagent toutes: Elles (ou leurs produits de dégradation) sont toutes des molécules persistantes. Autrement dit, plus les industriels continuerons de les produire et de les rejeter dans l’environnement, plus elles contamineront pour de très longues périodes les différents compartiments de la biosphère. Il n’est ainsi pas exclu que les chaînes courtes puissent atteindre au fil du temps des concentrations seuils au delà desquelles des effets toxiques puissent apparaître pour les êtres vivants. C’est en tous cas le signal d’alerte lancé par de nombreux chercheurs depuis des années.

Fluoro-surfactants: Les “polluants éternels” dans le viseur des autorités réglementaires

Nous l’avons vu, parmi les PFAS à chaîne courtes/longues, 2 sous-groupes de PFAS ont été produites à grande échelle:

  • Les PFCA (Perfluoro Carboxilic Acid): Les PFOA, PFNA, PFHxA, TFA, PFBA… appartiennent à ce sous-groupe.
  • Les PFSA (Perfluoro Sulfonic Acid): Les PFOS, PFHxS, PFBS,… appartiennent à ce sous-groupe.

Toutes les molécules de ces 2 sous-groupes ont en commun une propriété en particulier: Ce sont des tensio-actifs extrêmement puissants. Le terme anglophone pour traduire tensioactif est “surfactant”. Ainsi, en Anglais, pour parler de tensioactif fluoré, on utilise le terme “fluorosurfactant”.

Un fluorosurfactant, comme son nom l’indique, un donc un tensioactif fluoré (per ou poly-fluoré).

Avant de vous expliquer les propriétés exceptionnelles des tensioactifs fluorés, laissez moi vous rappeler ce qu’est un tensioactif de façon générale.

Des tensioactifs, vous en utilisez chaque jour à chaque fois que vous faites la vaisselle, que vous vous lavez les cheveux, les mains, ou que vous lavez votre sol. Vous l’avez compris, un tensioactif c’est une molécule qui est responsable de la mousse qui se forme lorsque vous le mélangez dans de l’eau. Sans entrer dans des détails trop techniques, il faut comprendre que c’est une molécule composée d’une partie qui a une forte affinité pour l’eau (qui fait qu’elle peut se dissoudre dans l’eau) et une partie qui repousse l’eau très fortement (qui se positionne à l’interface entre l’eau et l’air et qui forme de la mousse lorsqu’on l’agite). C’est donc une molécule “à moitié soluble” et “à moitié insoluble” à la fois.

De façon générale, l’intérêt des tensioactifs pour l’industrie est très divers, mais il faut retenir qu’une de leurs applications essentielles, lorsqu’ils sont dissous dans l’eau, est qu’ils peuvent eux même disperser dans l’eau d’autres molécules qui ne ne seraient pas miscibles sinon (les graisses en particulier dans le cas des détergents ou des savons). Faites l’expérience. Si vous mettez une goutte d’huile végétale dans un verre d’eau, vous verrez la goutte d’huile flotter à la surface de l’eau. Ajoutez y quelques gouttes de liquide vaisselle, mélangez un peu, et vous verrez disparaître la goutte d’huile. Le tensio-actif du liquide vaisselle aura “dispersé” la goutte d’huile dans le verre d’eau et vous n’ observerez donc plus la goutte d’huile flotter en surface.

Evidemment, votre liquide vaisselle ne contient pas de fluorosurfactant car rien ne permet de justifier le surcoût que cela représenterait. Les “fluorosurfactants” sont donc des “super tensio-actifs” dont les utilisations ne sont justifiées que dans des cas très spécifiques.

Par exemple, on va retrouver des fluorosurfactants dans des applications très ciblées comme la formulation des mousses anti-incendies utilisées pour l’extinction des feux d’hydrocarbures (à partir des années 60).

Une autre application concerne la fabrication de fluoropolymères comme le PTFE (Teflon® de Dupont de Nemours par exemple) ou le PVDF (Kynar® d’Arkema par exemple). Pour produire les fluoropolymères, il faut dissoudre des petites molécules chimiques fluorées (qu’on appelle aussi monomère) dans l’eau, de façon à les faire réagir entre elles (je vous expliquerai tout ça). Comme ces molécules sont totalement insolubles dans l’eau, il faut ajouter un additif (de l’ordre de 1 à 6% en masse) qui soit à la fois soluble dans l’eau, et qui en même temps ait une affinité pour les monomères fluorés. Ces additifs, se sont des fluorosurfactants.

Ces 2 applications, mousses anti-incendie et usines de production de fluoropolymères sont responsables de la majorité des hotspot majeurs de contamination de l’eau aux PFAS.

Le PFOA, le PFHxA, le 6–2 FTS, ces acronymes que vous commencez à connaitre si vous habitez en région Lyonnaise sont tous des fluorosurfactants qui permettent de solubiliser des monomères fluorés (par exemple du VDF) dans l’eau pour les faire réagir entre eux et former des polymères fluorés (par exemple du PVDF). Or lorsque la réaction est terminée, et que vous récupérez votre polymère (qui va être commercialisé), l’eau souillée de fluorosurfactant devient un déchet qu’il faut éliminer. C’est exactement ce qu’on fait Arkema et Daikin pendant des décénies à Lyon en rejetant quotidiennement durant des années une eau souillée aux PFAS directement dans le Rhône..

C’est ainsi que tous les grands scandales de contamination aux PFAS révélés dans la presse nationale et internationale ces dernières années (Parkersburg, Dordrecht, Zwinjdrecht, Vénétie, Lyon,…) mettent en jeu des molécules de type fluorosurfactant et notamment des fluorosurfactants de type “acides perfluorés” (PFAA) dont nous avons déjà parlé précédemment. Il en est de même pour toutes les molécules actuellement réglementées. Parmi les 20 molécules issue de la directive européène 2020/2184 relative aux normes de qualité de l’eau, toutes appartiennent au groupe des PFAA (10 appartiennent au groupe des PFCA, 10 au groupe des PFSA.

Comment expliquer que seules ces 20 molécules soient réglementées?

Les molécules réglementées correspondent à celles dont on sait qu’elles ont été les plus largement utilisées, qui ont diffusé sur l’ensemble de la planète, et celles que l’on retrouve désormais majoritairement dans l’eau et dans les denrées alimentaires.

Comment expliquer leur diffusion sur de longues distances?

Il y a plusieurs explications:

1/ Ces molécules sont toutes solubles dans l’eau à PH neutre. Si un industriel rejette des PFAS dans une rivière ou dans un fleuve, ces molécules vont pouvoir voyager sur de longues distances dans le sens de l’écoulement du fleuve et terminer leur route, in fine, dans la mer. Au passage, elles pourront contaminer les nappes alluviales de ces fleuves. C’est ce qu’il s’est passé en partie à Lyon.

2/ Pour les chaines courtes (6 molécules/20 réglementées), en raison de leur faible potentiel d’adsorption sur les particules du sol (= capacité à se fixer sur les particules du sol) et de leur meilleure solubilité dans l’eau, Elles sont donc capable de contaminer les eaux souterraines par percolation de l’eau de pluie dans le sous-sol.

3/ Enfin, nous l’avons déjà vu, certains pfas volatiles peuvent parcourir de longues distances dans l’atmosphère (les FTOH notamment).

Ce qu’il faut retenir: Lorsque vous entendez le terme PFAS dans la presse, c’est majoritairement à des molécules perfluorées de type tensioactif fluoré (ou fluorosurfactant) à chaîne longue ou courte que les journalistes font allusion. Ils appartiennent majoritairement à 2 sous-familles de PFAS: Les PFCA (Acides PerFluoroCarboxyliques) et PFSA (Acides PerFluoroSulfoniques). De nombreux autres PFAS peuvent par ailleurs se dégrader en PFCA et PFSA. Quoiqu’il en soit, ces fluorosurfactants ont une propriété fondamentale: Ils permettent de solubiliser dans l’eau des molécules fluorées qui sans leur concours ne le seraient pas. Cette propriété est essentielle pour produire une nouvelle sorte de PFAS: Les polymères

Maintenant que nous avons vu ce qu’était un PFAS “non-polymérique” (ou “petite molécule”), voyons ce que sont les PFAS “polymériques”.

Les polymères Fluorés (PFAS Polymériques)

Qu’est ce qu’un polymère?

Étymologiquement parlant, un polymère (du grec polus, plusieurs, et meros, partie), un polymère est une molécule composée d’unités chimiques répétitives (qu’on appel également monomères).

La figure-ci dessous illustre de façon très schématique ce qu’est un polymère et comment on le “fabrique” chimiquement:

Schéma illustratif d’une réaction de polymérisation

Comme on peut le voir sur ce schéma, un polymère est “fabriqué” (en langage scientifique on utilise le terme “synthétisé”) par la réaction chimique de plusieurs petites molécules (monomères) qui vont “s’accrocher” les unes aux autres pour former une molécule plus grande (polymère). La taille du polymère peut être très variable, de quelques centaines d’unités répétitives à plusieurs centaines de milliers. Notez bien que si le monomère (l’unité répétitive) est un PFAS, le polymère sera un PFAS également (CQFD).

Prenons l’exemple d’un polymère fluoré bien connu, le PVDF. Le PVDF est l’acronyme de PolyFluorure de Vinylidène. Sémantiquement parlant, il s’agit d’un polymère composé de plusieurs unité répétitive de fluorure de vinylidène (VDF). Au sens de la définition de l’OCDE, La polymérisation du Fluorure de Vinylidène (VDF) conduit donc au PolyFLuorure de Vinylidène (PVDF).

Représentation schématique de la synthèse (“fabrication”) du Polyfluorure de Vinylidène.

On peut donc se représenter un PFAS de type Polymère comme une “énorme molécule” composé d’unités répétitives (monomères) identiques. Je ne m’étendrais pas plus sur le sujet mais sachez qu’il existe différents types de polymères qui varient selon le nombre de monomère différents de départs (Homopolymères, co-polymères, ter-polymères…) ni sur les différences de propriétés qui peuvent exister au sein d’un même polymère en fonction de sa longueur de chaines (un polymère de très grande taille moyenne n’aura pas les même propriétés qu’un polymère de petite taille moyenne).

Il faut juste comprendre qu’un polymère n’est pas une grosse molécule “homogène”, mais un mélanges de grosses molécules de différentes tailles (on parle de poly-dispersité du polymère) qui s’agglomèrent entre elles pour former des matériaux solides (ou des huiles le cas échéant). Cela tient du fait que nous ne savons généralement pas “fabriquer” (à de rares exceptions), des molécules de polymères qui auraient tous une taille homogène.

Si on devait représenter la structure chimique d’un polymère de façon schématique qui colle plus à la réalité on pourrait donc le représenter comme l’assemblage de millions de molécules de taille plus ou moins importantes:

Ce qu’il faut retenir: Un PFAS de type polymère, c’est un ensemble de grosses molécules composé d’unités répétitives de petits PFAS dont la taille moléculaire peut varier et qui s’agglomèrent entre eux pour former des matériaux ou des huiles principalement. Si un monomère de type PFAS est polymérisé, il conduira fatalement à un Polymère de type PFAS. Ces matériaux sont insolubles dans l’eau

Qu’est ce qu’un polymères fluoré?

Quand on parle de polymères fluorés, il faut comprendre “matériaux de spécialité”. Les polymères de spécialité se distinguent des polymères standards par leur capacité à répondre à des exigences d’applications complexes grâce à des propriétés spécifiques (mécaniques, chimiques, thermiques…) bien plus importantes que les polymères standards.

2 métriques économiques en particulier sont caractéristiques de ce que sont généralement des matériaux de spécialité: Leur coût de revient plus élevé (et par voie de conséquence leur prix de vente élevé) et leur volume de production plus faible que les matériaux standards.

Pour illustrer cela sur la base d’exemples précis, comparons sur ces 2 paramètres un polymère fluoré, le PTFE (PolyTétraFluoroEthylène), et un polymère standard non fluoré, le PE (Polyéthylène).

Le PTFE (Teflon®) n’est autre que la version perfluorée du polyéthylène (voir figure ci dessous). C’est donc du polyéthylène auquel on a substitué tous les atomes d’hydrogène par des atomes de fluor. Il appartient donc à la sous classe des molécules perfluorées.

Représentation chimique du polyéthylène (PE) et du Polytétrafluoroéthylène (PTFE)

Deux applications du PTFE bien connues du grand public concernent le revêtement des poêle anti-adhésives ou des joints d’étanchéité tandis que le PE quand à lui est un matériaux plastique très standard couvrant de très nombreuses applications.

Côté prix, le PTFE coûte 10 fois plus cher à produire que le PE. En 2024, le prix d’une tonne de PTFE se situe autour de 12 500 €/T tandis que celui du PE se situe autour de 1250 €/ tonne.

La production de PTFE est estimée à 171 000 tonnes/an (chiffres de 2020), tandis que la production de PE en 2021 était estimée à 108 000 000 tonnes/an soit 600 fois plus.

De façon plus globale, la production de polymères fluorés (tout confondu) est également beaucoup plus faible que la production de polymères standards. En effet, la production mondiale de polymères fluorés tout compris se situe autour de 320 000 tonnes/an tandis que la production de polymères plastiques classiques se situe autour de 360 millions de tonnes/an (soit environ 1000 fois plus).

Maintenant que ces généralités sont posées, pour bien comprendre le sujet des PFAS de type polymère, il faut bien distinguer 2 types polymères: Les fluoropolymères et les polymères greffés (qu’on appel aussi polymère à chaine latérale poly/per-fluorée).

Pour ceux qui auraient quelques notions de chimie et qui souhaiteraient approfondir le sujet vous pouvez consulter (et c’est en Français) la petite synthèse de Bruno Améduri (laboratoire dans lequel j’ai réalisé mon post-doctorat il y a quelques années) sur le sujet des polymères fluorés.

  • Les fluoropolymères

Dans la catégorie des fluoropolymères, on va retrouver de nombreux produits commerciaux qui trouvent de très nombreuses applications dans l’industrie et dans des produits du quotidien:

Teflon® (PTFE), Kynar® (PVDF), Fomblin®(PFPE), Nafion® …

Ces polymères ont de nombreuses application dans l’élaboration de membranes pour pile à combustibles, comme composant dans les batteries lithium ion ou dans certaines peintures.

Il est important de noter qu’en 2018, 2 polymères, le PVDF et le PTFE constituaient les 2/3 de la production mondiales de fluoropolymères.

Répartition de la production mondiale de fluoropolymères en 2018

Ces polymères sont chimiquement/thermiquement très stables et majoritairement insolubles dans l’eau, ce qui, à priori, semblerait plaider en faveur d’une faible diffusion de ces produits dans les différents compartiments environnementaux, et, de façon plus spécifique, au sein des différents maillons de la chaine du vivant. C’est d’ailleurs l’argument principal des industriels lorsqu’ils plaident pour l’exclusion des PFAS de type polymère de toute réglementation visant à limiter/interdire leur production, au prétexte que les fluoropolymères seraient des PFAS “peu préoccupant”, ce que contestent certains spécialistes du sujet.

Et pour cause, on ne peut aborder le sujet des fluoropolymères sans aborder l’ensemble du cycle de vie de ces produits.

  • Lors de leur phase de production

Certains procédés industriels utilisés pour la production de fluoropolymères sont particulièrement polluants. En effet, ces procédés ont recours majoritairement à l’utilisation de fluorosurfactants comme “assistants de polymérisation” dont ont sait désormais à quel point ils sont néfastes pour la santé et l’environnement (même si depuis quelques années certains procédés “fluorosurfactant free” commencent à apparaître sans que l’on sache vraiment quelles sont les techniques alternatives utilisées). Historiquement les industriels ont utilisé des chaines longues, puis à partir des années 2000, les ont progressivement substitués par des chaines courtes. C’est par exemple le cas des usines Arkema et Daikin à Pierre Bénite, 2 producteurs de fluoropolymères qui ont contaminé l’environnement avec des molécules de type Fluorosurfactant (PFNA, PFHxA, 6,2-FTS).

  • Lors de leur phase d’utilisation

De nombreuses personnes se demandent actuellement si elles peuvent continuer d’utiliser leurs poêle en revetement Teflon®. Si le Teflon est réputé être un matériau inerte biologiquement, certaines études semblent attester de l’émanation de molécules chimique toxiques lors de l’utilisation de poêles anti-adhésives à base de Teflon®, notamment lorsque les températures de cuisson dépassent les 260°C.

  • Lors de leur élimination

Enfin, la fin de vie des matériaux polymères peut également être sources d’émanations toxiques. En effet, une incinération des fluoropolymères à des températures trop faibles peut conduire, par dégradation, au rejet d’un certain nombre de molécules de type PFCA qui vont être relargués dans l’environnement.

La question des fluoropolymères doit donc être traitée de façon globale et non uniquement sur les propriétés des matériaux eux même. Il est donc très important de comprendre qu’on ne peut prendre en compte l’impact du PTFE ou le PVDF sur l’environnement et la santé sans considérer l’ensemble du cycle de vie du produit.

Les polymères à chaine latérale perfluorée

Les polymères à chaîne latérale perfluorée sont des polymères “standards” auxquels on va greffer un motif chimique perfluoré pour modifier les propriétés du polymère initial. Ces polymères ont des propriétés de surface absolument exceptionnelles. Si vous vous souvenez des propriétés de surface “oléophobes” et “hydrophobes” remarquables du PTFE (Teflon®) dont j’ai parlé tout à l’heure, elles sont encore meilleures pour les polymères à chaines latérales fluorées. Des recherches ont notamment montré que la longueur de chaine perfluorée importe beaucoup, dans les propriétés de surface des matériaux produit. Ainsi, des chaines latérales en C8 et plus présentent les meilleures propriétés.

Durant des années, l’entreprise 3M a commercialisé des produits de marque Scotchgard® à base de polymères à chaine latérale. Tout d’abord, jusqu’au début des années 2000, des polymères à chaine latérale perfluorée à base de PFOS (chaine longue en C8), puis à base de PFBS (chaine courte en C4). Désormais, L’entreprise 3M affirme que ses produits de marque scotchgard sont exempts de PFAS .

Ils ont également été utilisé dans la fabrication de textiles déperlant. C’est notamment le cas de désormais célèbre marque Gore-tex®.

Comment les polymères à chaine latérale fluorés sont susceptibles de contaminer l’air ambiant?

Voici schématiquement comment on peut se représenter ce type de polymères. Une chaine polymérique non fluorée sur laquelle sont greffées des molécules de type PFAS. Contrairement aux fluoropolymères, les polymères à chaines latérales perfluorées ne sont pas des molécules thermiquement et chimiquement stables. Il faut donc retenir que la liaison chimique qui relie le PFAS au polymère est une liaison qui peut se rompre relativement facilement sous l’effet de facteurs exogènes (rayonnements UV, chaleur…). En se “détachant” ainsi du polymère, le PFAS peut se volatiliser dans l’air ambiant ou se fixer sur des poussières, ce qui aura pour conséquence de contaminer l’air ambiant.

Ce qu’il faut retenir: Les polymères greffés à chaine latérale perfluorée ne possèdent pas les propriétés de résistance à la dégradation physique, chimique et thermique des fluoropolymères comme le PTFE. En revanche, leur propriétés de surface sont meilleures, ce qui explique leurs applications pour des produits anti-tâches ou déperlant par exemple.

Les as du Greenwashing

Si j’ai réussi à vous faire avaler le contenu de cet article sans vous étouffer, vous devriez être en mesure d’avoir un jugement plus critique sur certains arguments avancés par les uns et les autres pour continuer le “business as usual” relatif aux PFAS.

Prenons un exemple, depuis la sortie du Film “Dark Water” en 2019 (date de sortie Française) on voit cette mention fleurir sur les emballages de poêles anti-adhésives.

Vous l’avez probablement compris en lisant cet article, les poêles anti-adhésives n’ont jamais contenu de PFOA (PFAS “non polymère”) mais du PTFE (ou Teflon®, PFAS de type “polymère”). En revanche, jusqu’à récemment, du PFOA était utilisé comme “assistant de polymérisation” dans le procédé de fabrication du PTFE. Cette publicité pourrait donc s’apparenter à une forme de publicité mensongère. En laissant penser que la poêle ne contient pas de PFOA, elle laisse penser à celui qui l’achète qu’il s’agit d’une poêle sans PFAS. Pourtant, le revêtement reste bien un revêtement à base de Teflon®. Ces industriels surfent donc simplement sur le fait que dans le procédé de fabrication du Teflon® qui recouvre la poêle, du PFOA n’a pas été utilisé. On pourrait tout de même penser que si du PFOA n’a pas été utilisé, c’est meilleur pour l’environnement, puisque les rejets de PFOA dans l’environnement sont à l’origine de très nombreux scandales sanitaires et environnementaux depuis des décennies. Seulement les industriels se gardent de signaler qu’en lieu et place du PFOA, ils ont utilisé de l’ADONA®, du GenX® ou d’autres PFAS de substitution, conduisant à des pollutions de substitution du même ordre et dont certains se révèlent aujourd’hui au moins aussi toxiques que le PFOA (les anglo-saxons parlent de “substitution regrettables”).

Sans PFOA donc, mais avec du GenX !

En conclusion, les PFAS sont une famille extrêmement diverse qui regroupe de très nombreuses molécules aux propriétés exceptionnelles. Ce sont ces propriétés qui ont justifié leur utilisation dans de très nombreux produits industriels ou domestiques. Si le sujet peut être complexe à appréhender dans sa globalité, il est essentiel d’avoir un débat citoyen et politique éclairé sur ce sujet, et décider sur cette base des futures réglementations à mettre en place.

De nombreux chercheurs plaident aujourd’hui pour une interdiction totale des PFAS pour toutes les applications “non essentielles”. Ce qui implique évidemment de définir sur quelle base caractériser le côté “essentiel”. Une chose est sûre, plus nous continueront de les produire, plus ils s’accumuleront dans toutes les strates de notre environnement.

Je suis Louis, docteur en chimie, entrepreneur, agriculteur et citoyen engagé pour la transition agroécologique. J’écris régulièrement des articles sur mes expérimentations, mes passions, mes combats et plus globalement les choses que j’apprend et que j’aime partager. Je suis également porte parole du collectif Ozon l’Eau Saine qui oeuvre dans le sud de Lyon pour documenter la pollution environnementale aux PFAS. Vous pouvez me contacter ou me suivre sur linkedin ici

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Louis Delon
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Written by Louis Delon

Chercheur, Entrepreneur, désormais Paysan aux Jardins du Gorneton, engagé pour une transition agro-écologique de la société

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