Chronique Agrochimique (part.1): Les dérivés arsenicaux

Louis Delon
6 min readJan 23, 2023

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En 1824, un coléoptère jusqu’alors inconnu, le leptinotarsa decemlineata say, est identifié pour la première fois dans dans les montagnes rocheuses du colorado par l’enthomologiste américain Thomas Say. Les américains vont le surnommer “bête du Colorado”, mais il est plus connu dans nos contrées sous le nom de “Doryphore de la pomme de terre”. Se nourrissant de plantes sauvages appartenant à la famille des solanacées établies dans ces plaines arides, le coléoptère y reste cantonné jusqu’en 1850, ou il mène une existence rude et frugale. Dans ce milieu hostile, il survit grâce à une incroyable fécondité (une femelle peut pondre jusqu’à 800 oeufs au cours de sa vie) et une remarquable capacité de résistance à de fortes variations de températures. S’ il ne s’étend pas dans les contrées voisines, c’est faute de plantes disponibles nécessaires a sa survie. Mais lorsque les colons y introduisent la pomme de terre, plante cultivée qui appartient a la même famille que ses plantes nourricières d’origine, le Doyphore y trouve des conditions particulièrement favorables a son développement. Terminé les années de disette, l’insignifiant petit coléoptère du Colorado trouve dans les cultures de pomme de terre, une opportunité d’expansion territoriale et de prolifération sans limites. En quelques dizaines d’années, il étend son influence jusqu’à coloniser la quasi-intégralité des Etats-Unis. Charles Valentine Riley, célèbre entomologiste Américain prévient en 1871 : « Que nos voisins d’Europe soient donc sur le qui-vive et préviennent s’ils le peuvent, une telle catastrophe ». Car ce n’est pas la première fois qu’un indésirable venu des Amériques menace les cultures du vieux continent. Quelques décennies plus tôt, le phylloxera, un puceron originaire lui aussi de l’Est des Etats-Unis avait déjà provoqué une grave crise du vignoble européen à partir de 1864.

Plusieurs pays Européèns prennent donc très au sérieux cette nouvelle menace d’autant que les cultures de pommes de terre constituent fin 19eme un rempart non négligeable dans la lutte contre la disette. Dès 1875, des décrets interdisant les importations de pommes de terre en provenance des Etats Unis sont signés. La France, elle, encore engagée dans le combat contre le phylloxera de la vigne, se contente de promulguer la destruction par le feu de parcelles qui pourraient être infestées.

Malgré ces précautions, la prophétie de Riley se vérifia peu de temps après avoir été formulée. L’anecdote voudra que l’inéluctable débarquement du Doryphore en Europe se produisit au moment ou le botaniste français Alexis Millardet était en phase de solutionner l’autre fléau de la pomme de terre (lui aussi débarqué des Etats-unis quelques années plus tôt), le mildiou, grâce à la découverte des propriété anti-fongiques d’un mélange de chaux et de sulfate de cuivre sur la vigne (la fameuse “bouillie bordelaise”).

Ainsi, les premiers foyers sérieux de Doryphores sont découverts pour la première fois en Allemagne dès 1876, à Rotterdam en 1877 puis a nouveau en Allemagne en 1887, 1901 et 1914. A chaque fois cependant, les colonies peu nombreuses et rapidement dépistées furent éradiquées. Il faudra attendre 1922 pour que sa présence ne soit signalée pour la première fois en France dans les champs de patates du Taillan-Médoc, au Nord-Ouest de Bordeaux (le surnom péjoratif de “Doryphore” donné aux Bordelais vient de là). On soupçonne alors les soldats Américains de l’avoir transporté dans leurs bagages. Les services du ministère de l’Agriculture, en panique, éditent de grandes affiches, placardées sur le mur des mairies. On y peut lire :

« Le doryphore est un dangereux insecte d’origine exotique, dont il faut éviter la propagation et le maintien sur notre sol. La lutte contre ce fléau est poursuivie aux frais de l’État. La principale difficulté est de connaître à temps les foyers en formation. Chacun de vous doit aider à les découvrir. Surveillez les champs de pommes de terre ».

La lutte s’organise. Ces mêmes services instituent la création dans chaque département contaminé un “comité de défense”, sous la direction des préfets et des directeurs des services agricoles. Dans les champs de pomme de terre, la chasse à l’indésirable est confiée aux enfants des écoles. On récolte les doryphores par milliers avant de les bruler.

Dès lors, La loi du 13 Juillet 1922 interdit l’importation des pommes de terre en provenance des Etats Unis. Trop tard. En 1923, 4 nouveaux départements sont infestés. 10 ans plus tard, en 1933, tandis que la patate couvre 7 % de la surface cultivée en France, soit 1,5 million d’ hectares, le doryphore est déjà présent dans 39 départements, et près de 58 l’année suivante.

Les dégâts d’attaques de doryphore sur les champs de pomme de terre sont tels, que durant la seconde guerre mondiale, des vétérinaires Français proposent d’utiliser des lâchers de Doryphore en Allemagne pour décimer les récoltes et affamer l’ennemi. Aux Etats-Unis, qui font face aux ravages de la bête du Colorado depuis de nombreuses décennies, la lutte chimique au moyen de composés arsenicaux est désormais généralisée. C’est donc assez naturellement que la “méthode Américaine” pour lutter contre le Doryphore fait se met en place progressivement en France via différentes communications des institutions agricoles et des préfectures, et ce pour 2 raisons:

  • Tout d’abord, depuis le milieu du 19ème siècle, des relations étroites se sont nouée entre entomologistes Américains et Français, grâce entre autres, à l’affaire du phylloxera.
  • Ensuite, la lutte chimique présente un avantage certain en terme de cout et de facilité de mise en oeuvre.

Pourtant, en France, l’utilisation de produits chimiques dans les champs est loin de faire l’unanimité au sein des campagnes, et, même chez les scientifiques, des voies se sont élevées contre le recours aux dérivés de l’arsenic. Maurice Girard, professeur de zoologie, président de la Société Entomologique de France en 1867 et auteur de nombreuses publications sur les insectes utiles et nuisibles, s’oppose aux substances arsenicales dès 1875. Il affirme que « si par accident très peu probable, le Doryphore devait apparaître en France, nous ne conseillerons jamais une méthode qui vulgariserait la vente d’un produit aussi dangereux.” Henri Grandjean, Inspecteur de l’enseignement agricole, n’est pas de cet avis. Il est le premier en France à vanter les mérites de cet insecticide efficace et peu couteux, et à lui promettre un bel avenir quand à la généralisation de son utilisation. Pourtant, a méthode arsenicale, en théorie, est illégale. En effet, une Ordonnance royale promulguée le 29 octobre 1846 interdit la vente et l’emploi des produits arsenicaux dans le domaine agricole (chaulage des grains et destruction des insectes). Seules les préparations médicales, désormais uniquement délivrées par les pharmaciens, demeurent commercialisables. Cependant, malgré cette interdiction, le chaulage à l’arsenic est attesté à de nombreuses reprises après 1846 et, vers la fin du 19ème siècle, les cultivateurs français, succédant en cela aux agriculteurs américains, généralisent l’usage des arsenicaux, notamment l’arséniate de plomb. Cette généralisation sera encouragé par les services agricoles de l’état, qui financent son achat. L’utilisation de dérivés arsenicaux contre le Doryphore sera ensuite étendue à la protection des arbres fruitier (contre le carpocapse notamment) et de la vigne. Elle constituera une étape importante dans l’utilisation de produits chimiques à grande échelle contre les parasites de culture, ouvrant ainsi la voie aux pesticides de synthèse d’ après guerre, avec à leur tête l’un des plus tristement célèbre d’entre eux: Le DDT. Dans un prochain article j’aborderais l’essor des organochlorés dans la lutte contre les nuisibles de culture.

Si le sujet vous intéresse, vous pouvez consulter gratuitement cette petite série d’article fort intéressants:

https://www.cairn.info/revue-histoire-et-societes-rurales-2017-2-page-137.htm#re41no41

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Louis Delon
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Written by Louis Delon

Chercheur, Entrepreneur, désormais Paysan aux Jardins du Gorneton, engagé pour une transition agro-écologique de la société

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